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Les débuts du jazz

La Nouvelle-Orléans, berceau du Jazz

Communautés en présence

La Nouvelle-Orléans est une ville côtière du sud du pays. Au lendemain de la guerre, de nombreuses communautés y cohabitent.

La communauté blanche, descendante des premiers colons français, y revendique une culture européenne bourgeoise traditionnelle. A ce titre , l’orientation musicale correspond évidemment à ce qui est en vogue en France à cette époque. La musique classique symphonique et de chambre, ainsi que certaines danses européennes traditionnelles (telle la valse) constituent donc une part importante des divertissements du « Vieux Carré » du quartier Français.

Les Afro-Américains, quant à eux, occupent des quartiers bien moins chics, comme celui de Storyville. L’origine du nom de ce quartier est à chercher dans celui de Sidney Story, conseiller municipal qui eut l’idée, à la fin du XIXe siècle, d’émettre une législation visant à regrouper les maisons closes, les tripots et les débits de boissons dans cette partie de la ville.

Enfin, il y a la communauté créole (il faut ici accorder à « créole » la signification de « métisse »). La position de celle-ci est alors délicate. En effet, jouissant souvent d’une éducation « à la française », les créoles tentent de revendiquer avant tout leur identité blanche. Mais il arrive que bien souvent, ni la loi, ni certaines mentalités, ne leur laissent bénéficier de ce privilège.

Le paysage musical néo-orléanais

Une ville propice à la création musicale

Outre les nombreuses communautés en présence, il faut remarquer que la Nouvelle-Orléans était, dès la seconde partie du XIXe siècle, une ville propice au développement d’une nouvelle musique. Au lendemain de la Guerre de Sécession, de nombreux instruments de fanfare militaires étaient restés sur place alors que d’autres arrivaient d’Europe pour rejoindre les pianos, violons et autres instruments traditionnels européens des salons français.

Malgré la guerre terminée, la musique martiale connaissait encore un grand succès, et toute occasion était bonne pour les « Marching Bands » de défiler. Elles ouvraient la marche aux lents cortèges funèbres qui se dirigeaient vers les cimetières pour revenir en ville d’un pas plus preste et sur un air plus gai (C’est là l’honneur traditionnellement accordé aux morts, en Afrique).

Il est difficile de dater avec précision l’invention du jazz, mais on peut dire que c’est à l’aube du XXe siècle que le ragtime, le blues, la musique de fanfares et la musique traditionnelle se sont rencontrés pour former ce qui allait alors devenir l’un des genres les plus incontournables du siècle : le jazz.

Les premiers pionniers…

On ne peut attribuer la paternité du jazz à un seul musicien. Il est en effet le fruit d’une création collective lente. Néanmoins, si l’on s’en réfère à certains spécialistes et témoins oculaires de cette époque, on peut mettre quelques noms en avant.

Le premier est sans aucuns doutes celui de Charles « Buddy » Bolden. Cet homme, modeste barbier de Franklin Street, le jour, était une véritable star, la nuit tombée. On ne sait que très peu de choses sur ce légendaire « premier roi du jazz » qui finit ses jours en hôpital psychiatrique en ne nous laissant pas le moindre enregistrement. Encore aujourd’hui, il fait l’objet de beaucoup de mythes urbains. On disait par exemple de lui que l’on pouvait l’entendre jouer de son cornet à plus de 15 miles à la ronde.

A cette époque également, on pouvait rencontrer, dans le quartier de Storyville, un pianiste créole du nom de Ferdinand « Jelly Roll » Morton. Probablement imbu de sa personne, il n’hésitait pas à laisser lire sur ses cartes de visite : « Inventeur du swing » ou encore « meilleur auteur de morceaux hot du monde ».

On peut encore citer quelques « as du cornet », tels : Freddie Keppard et King Oliver (l’un des mentors de Louis Armstrong) et bien d’autres : Sidney Bechet, Jimmie Noone, Johnny Dodds, Kid Ory,… Mais bien d’autres contributeurs restèrent et resteront à jamais anonymes.

1917 : La fermeture de Storyville, le premier disque de jazz et les migrations vers le nord

La fin d’une époque ou la début d’une nouvelle ère

Il est étonnant d’apprendre que les mouvements migratoires qu’entreprirent les musiciens noirs américains à la veille des années 1920 furent en réalité un conséquence très indirecte de la Première Guerre mondiale. Lorsqu’en 1917, les Etats-Unis prirent part au conflit européen, la ville côtière qu’était la Nouvelle-Orléans servit de base d’embarquement vers le Vieux Continent. Dès lors, il paraissait inadmissible, aux yeux de l’armée , que des jeunes soldats puissent être cantonnés si près d’un endroit où les lieux de plaisir et de débauche étaient si nombreux. Le quartier ne fut , bien entendu, pas fermé au sens littéral du terme, mais y fut déclarée illégale toute activité de prostitution et les jeux d’argent.

Le premier disque de jazz

Petite page d’ironie dans l’histoire, le premier disque de jazz considéré en tant que tel est le fait d’un orchestre de blancs. Le 16 février 1917 , l’Original Dixieland Jass Band, dirigé par Nick LaRocca, enregistre 2 faces : Livery Stable Blues et Dixie Jass Band One-Step. Même si la musique présentée n’est, sommes toutes, qu’une pale et raide copie du jazz noir et que cet enregistrement n’est plus cité dans les livres qu’en sa qualité de « premier disque de jazz », il faut quand même reconnaître qu’il a contribué à la diffusion du jazz dans tout le pays et a surtout ouvert la porte des studios d’enregistrement à d’autres musiciens de jazz.

Des mouvements migratoires importants

Si la fermeture de Storyville est bel et bien retenue comme l’événement ayant accéléré le phénomène de migration des musiciens noirs vers le nord , il ne faudrait pas pour autant croire qu’il s’agit là de la cause unique ou même de l’origine de ces déplacements. Très tôt déjà, de nombreux jazzmen avaient pris la route, leurs cornet ou leur banjo sous le bras.

La « Cité des Vents »

La première ville à susciter l’intérêt de ces derniers est Chicago. En très grande partie reconstruite au lendemain du grand incendie qu’elle connut en 1871, la ville, qui est alors la plus moderne du pays, jouit en plus d’une liaison à la Nouvelle-Orléans via le Mississippi. Cette « terre promise » regorgeait de cabarets, dancings, boites, tripots et bordels, et avait donc le potentiel d’offrir du travail à de nombreux musiciens. Très vite, la musique hot devint en quelque sorte la bande son du crime organisé chicagoan.

L’une des grandes figures de l’époque est King Oliver, troisième « roi du cornet » néo-orléanais (Après Buddy Bolden et Freddy Keppard). Avec son Creole Jazz Band, il entendait bien offrir à ses auditoires une excellent synthèse de ce que la Nouvelle-Orléans avait produit, pleine d’énergie et de swing. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant d’apprendre qu’à cette époque, il s’agit d’un des ensembles les plus populaires, puisqu’en 1923, Oliver pouvait se vanter de diriger Johnny Dodds et Kid Ory (respectivement clarinettiste et tromboniste) ainsi que le très jeune mais déjà très prometteur Louis Armstrong.

Jelly Roll Morton, lui aussi du « voyage », produisait également avec ses Red Hot Peppers une musique de groupe dans un style néo-orléanais on ne peut plus classique. Notons d’ailleurs que le vieux maitre sera incapable, à son arrivée à New York, de rivaliser avec Duke Ellington ou Fletcher Henderson, alors initiateurs d’un renouveau de l’écriture jazz pour ensemble.

Si on fait exception de certains musiciens comme Louis Armstrong, force est de constater que même si Chicago accueille le jazz avec enthousiasme , elle ne le pousse pas à évoluer.

A Chicago, le jazz rencontra pour la première fois, en masse, le public blanc. Là, de nombreux jeunes musiciens blancs s’essayèrent à imiter leurs homologues du sud, avec plus ou moins de succès. Quoi qu’il en soit, on voit naître des orchestres blancs de jazz, voire même quelques orchestres (mais ils restaient encore fort peu nombreux) hybrides. Ce tournant dans l’histoire du jazz donna leurs lettres de noblesse à des noms comme celui de Bix Beiderbecke ou Benny Goodman.

Peu à peu, la ville de Chicago perdit de son intérêt, et les musiciens la quittèrent pour New York, jusqu’à ce que la grande dépression des années 1930 sonne le glas des belles heures de ses clubs et cabarets.

La « Grosse Pomme »

L’autre « Mecque du jazz » était New York. Aujourd’hui, encore, on peut dire que New York est la capitale du Jazz. Future grande métropole, alors encore en construction, la cité vit l’un de ses quartiers sud, Harlem, se peupler d’une large communauté afro-américaine. C’est donc tout naturellement que le jazz, maintenant partie intégrante de la vie des noirs, y prit racine.

New York marque également le début d’une nouvelle ère pour le piano. Nouveau genre issu du ragtime, du blues et de la variété, le Stride Piano fit les grandes heures de pianistes tels que John P. Johnson, Fats Waller, Willie « The Lion » Smith ou encore Art Tatum . Si stylistiquement parlant, ce genre reste relativement proche du ragtime traditionnel, ce sont surtout les intentions, la virtuosité exigée et la précellence de l’improvisation qui constituer la révolution qu’il représente alors.

On note aussi que c’est à ce moment que le jazz entra dans l’industrie phonographique de grande échelle. Ce sont plus particulièrement les grand ensembles qui investirent les studios : l’orchestre de Paul Whiteman (chef d’orchestre blanc surnommé à tort « le roi du jazz », puisque sa musique se rapprochait en réalité plus de la variété), Duke Ellington, qui venait de fonder l’un des plus importants big bands des 50 années suivantes , King Oliver, dont l’authenticité néo-orléanaise séduisait un large public blanc, et un peu plus tard, un certain William « Count » Basie.

Précisons enfin que déjà, le jazz était victime d’un phénomène de « modes ». C’est-à-dire que certains « anciens » de la Nouvelle-Orléans trouvaient déjà difficilement une place sur la scène, n’arrivant pas à s’adapter aux « nouveautés » imposées par le milieu, et de ce fait, ne pouvant répondre aux attentes du public.