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La musique des esclaves

Arrivés sur cette terre nouvelle et inconnue, les noirs américains ont très tôt réadapté leur patrimoine culturel, et particulièrement musical aux besoins de leur nouveau mode de vie, mais aussi au gré de influence de la société occidentale, et de sa tradition musicale. Il faut bien imaginer que la musique jouait un rôle capital dans la vie quotidienne des esclaves. Seule cette forme d’art leur était permise, et peut-être que seule celle-ci leur permettait d’exprimer tout ce qu’ils avaient à dire.

Dans sa première autobiographie, Frederick Douglass nous en livre cette impression : « J’ai quelquefois pensé que ces chansons-là, rien qu’à les entendre, pourraient faire sentir à quelques esprits la nature horrible de l’esclavage, mieux que ne saurait le faire la lecture de plusieurs volumes entiers de réflexion à ce sujet. (…) Chaque son était un témoignage contre l’esclavage et une prière à Dieu pour la délivrance. (…) C’est à ces chants que je rapporte mes premières conceptions indistinctes de la nature inhumaine de l’esclavage ».

Avant l’abolition de l’esclavage, on retient particulièrement 2 types de chants d’esclaves : les « work songs » (« chants de travail ») et les « negro spirituals » (« chants spirituels des nègres »).

Les « Work Songs »

Véritables outils de travail, ces chants avaient pour but, comme l’exprime explicitement leur nom, d’encadrer le travail des esclaves. Les maîtres d’alors y étaient favorables, y voyant un stimulant, et donc, un vecteur d’augmentation du rendement. Mais ce serait réducteur de ne pas considérer cette pratique musicale plus loin que son aspect purement utilitaire. En effet, les noirs y trouvaient un moyen de communiquer et ainsi de se soutenir moralement, étant donné qu’il leur était souvent interdit de parler durant le travail.

Si ceci est un évident héritage de l’Afrique, il faut néanmoins noter que les conditions dans lesquelles se pratiquaient ces chants différaient. En effet, les instruments étaient prohibés et les propos tenus ne pouvaient en aucun cas inciter à la révolte. Mais les esclaves ne se firent pas prier pour trouver en leurs outils, pelles, pioches et faux, une forme rudimentaire d’instruments à percussion et cacher derrière des paroles, niaises de prime abord, un sens beaucoup plus profond que n’aurait pu l’imaginer le moindre des observateurs de l’époque. En réalité, on ne commença à étudier et à constater la portée de ces chants que bien longtemps après l’abolition de l’esclavage.

En ce qui concerne la forme, on ne peut pas réellement définir de structure type, tant cette pratique, improvisée, a varié selon les époques et les régions. Il est néanmoins retenu que la formule de « l’appel et la réponse » (impliquant un meneur et une assistance) constituait la base de ces chants. Bien évidemment, le chant trouvait son tempo sur la vitesse d’exécution du travail (tous les intervenants, par exemple, pouvaient décider de frapper de leurs pioches simultanément pour créer la pulsation, ou voire même avec quelque décalage afin d’obtenir une figure rythmique complexe qui, répétée en ostinato , enrichit ainsi la musique).

Les « Negro Spirituals »

Les negro spirituals sont véritablement des chants liturgiques. Ils semblent être apparus en même temps que l’évangélisation des esclaves. Peu à peu disparaissaient les croyances animiques de l’Afrique au profit de la religion occidentale. Alors, les pratiques liturgiques qui s’y rapportaient se virent elles aussi bouleversées. Les références des noirs étaient maintenant Jésus et la Bible. Ainsi sont mis en chansons certains épisodes bibliques auxquels s’identifient les esclaves, tel l’épisode de l’Exode où les esclaves voient un véritable rêve de liberté.

Dans un premier temps, cette musique était presque exclusivement chantée a capella, mais par la suite, et plus particulièrement au nord où l’abolition survint plus tôt, la création d’églises noires permit d’organiser des cérémonies plus élaborées, faisant parfois intervenir des instruments de musique occidentaux.

Enfin, soulignons le fait que ces chants (aussi bien les work songs que les negro spirituals) restèrent partie intégrante de la vie des Afro -américains, même après l’abolition de l’esclavage.